jeudi 24 juin 2010

La Colombie, une république bananière ?

Santos vient d'être élu président de Colombie avec une très large avance sur son rival du Parti Vert, Mockus. Santos est issu de l'une des familles les plus riches de Colombie, propriétaire de El Tiempo, journal conservateur et l'un des plus grands quotidiens du pays.
Cette victoire est aussi celle de Uribe, le président sortant et mentor de Santos, qui voit sa politique de fermeté contre les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) remporter la majorité des suffrages. En huit ans, Uribe, étiqueté à droite, voire à l'extrême-droite par les Colombiens de gauche, a dépensé la plus grande partie de son budget dans l'armée pour repousser avec un succès certain les FARC dans les jungles inaccessibles du pays, tout en oubliant les secteurs de l'éducation et de la santé.
Mais ses piètres résultats dans ces deux domaines n'apparaissent pas dans une presse totalement acquise à sa cause. Tous les journaux ou presque du pays célèbraient hier ses succès contre la guérilla comme ils célèbrent aujourd'hui l'élection de Santos. Sans jamais ou presque s'aventurer à décrypter le dessous des cartes.

Il faut dire à leur décharge que la situation politique en Colombie est sacrément complexe et que peu de gens y comprennent quelque chose. Mais elle vaut la peine de s'y intéresser, car la Colombie est au centre du trafic mondial de cocaine et de la politique des USA en Amérique Latine, et que c'est un pays tout simplement fascinant !




Sur place, en lisant les journaux, en discutant avec beaucoup de Colombiens, en lisant un livre regroupant les témoignages de femmes ayant combattu au sein de la guérilla ou des paramilitaires, puis en lisant quelques articles sur internet, j'ai regroupé quelques informations que je vais organiser un peu ici, sans prétention autre que d'essayer de donner au lecteur quelques clés et opinions personnelles pour comprendre le conflit qui ravage le pays depuis 50 ans et la situation politique actuelle du pays.





Quand le mois dernier nous roulions en Colombie sur des routes isolées au milieu de forêts touffues il m'arrivait d'imaginer tapis derrière un arbre quelques guerilleros qui allaient nous bondir dessus pour nous enlever une dizaine d'années dans leur antre. Heureusement nous n'avons vu que leurs graffitis sur des murs. Et des militaires un peu partout sur les routes qui nous prouvent que le pays est encore en guerre civile.




Pour un esprit un peu trop romantique, le guerillero en Colombie est comme la panthère dans la jungle ou l'ours dans les Pyrénés, un être quasi mythique qui n'apparaît jamais mais qui donne aux forêts qui l'abritent une dimension un peu surréelle car elle nous échappe et nous fascine. Existerait-il encore au XXIème siècle des êtres qui sacrifient leur vie en vivant dans les pires conditions matérielles au fond de la jungle, des êtres portés par le dessein de lutter toute leur vie les armes à la main pour qu'un jour survienne le Grand Soir?




Les FARC sont nées officiellement dans les années 60 après des dizaines d'années de vaine lutte du parti communiste colombien pour obtenir la redistribution des terres des grandes latifundias aux petits paysans. Comme aurait pu le dire Clausewitz, l'objectif des FARC est de continuer la lutte politique par d'autres moyens. Autoproclamée "Armée du peuple", les membres de l'organisation prennent les armes pour tenter de renverser le gouvernement en place.

Après une stagnation dans les années 70, les FARC montent en puissance dans les années 80 puis 90. Elles recrutent massivement parmi les jeunes désoeuvrés des banlieues pauvres des grandes villes en leur offrant des raisons de vivre en se battant pour le peuple et des soldes plusieurs dizaines de fois supérieures au salaire minimum. La guérilla croît sur un terreau fertile : comme la plupart des pays latino-américains, la Colombie est un pays extrêmement inégalitaire, avec une classe dirigeante qui vit dans l'opulence et près de la moitié des habitants en dessous du seuil de pauvreté.
Dans les campagnes éloignées du pouvoir central, les FARC se substituent au gouvernement colombien en construisant des écoles, des hôpitaux et des routes grâce à l'impôt révolutionnaire prélevé chez les habitants les plus riches, à l'argent du narcotrafic et celui de rançons demandées en échange de la libération de ses nombreux otages. A l'apogée de sa puissance au début des années 2000, plus d'un tiers de l'état colombien était contrôlé par la guérilla.

Dans les années 80, les premières organisations de paramilitaires sont apparues pour se défendre contre la guérilla. Au début simples paysans qui ne voulaient plus subir le pouvoir autoritaire des FARC, les paramilitaires se sont développés rapidement grâce au financement des grands propriétaires terriens et du gouvernement colombien lui-même qui comprit qu'il était plus efficace de lutter contre les FARC à travers une autre organisation militaire plus ou moins similaire qu'avec l'armée régulière. A la fin des années 80, les paramilitaires s'unissaient dans le cadre des AUC (Autodéfenses Unies de Colombie), et entraient en guerre contre les FARC et tous les Colombiens qui avaient déjà coopéré avec elles.
Les FARC, malgré leur appellation d'armée du peuple, n'hésitaient pas à bombarder des villages pour prendre sous son contrôle de nouveaux territoires. Mais l'arrivée des paramilitaires dans le paysage colombien était de plus mauvais augure encore pour les paysans colombiens. Dans les années 90 ils commettèrent de terribles carnages contre les populations qui avaient eu des contacts avec les FARC : viols, mutilages, dépeçages, des crimes atroces qui faisaient jusqu'à 50.000 victimes par an...
Les populations pour fuir la violence de la guerilla et des paramilitaires commencèrent à quitter en masse leurs terres natales. C'est de toute son histoire le plus grand drame humanitaire de la Colombie. Il y a quelques années l'ONU estimait que la guerre civile avait déplacée environ quatre millions de personnes en une dizaine d'années. Quatre millions de personnes arrivèrent dans des grandes villes, dans d'autres campagnes colombiennes ou équatoriennes sans aucune ressource pour recommencer une nouvelle vie décente, dans la pauvreté la plus totale.




A son épogée au début des années 2000, les FARC comptaient environ 17.000 combattants répartis sur 60 fronts dans le pays et s'étaient vues octroyer par Pestrana, le président de l'époque, une zone démilitarisée dans la jungle où elles avaient officiellement tous les pouvoirs.
A cette époque les intentions des dirigeants des FARC étaient de renverser le pouvoir en place en cinq ans.

Mais au début des années 2000, le rapport de forces change radicalement avec l'entrée en lice dans le conflit des USA et l'élection de Uribe. Les USA à travers le Plan Colombie financent à hauteur de 500 millions de $/an l'armée colombienne pour tenter de juguler la guérilla et le trafic de drogue. En même temps, Uribe cesse de considérer les FARC comme un belligérant, il ne négocie plus d'échanges d'otages (les otages détenus par la guérilla contre des guerilleros prisonniers) avec une organisation désormais qualifiée de terroriste.
En parallèle et en sous main, le gouvernement continue de financer et soutenir les paramilitaires dans leur guerre sale contre la guerilla et contre certains opposants politiques. Meurtres et enlèvements inexpliqués de politiciens de gauche sont légion : les paramilitaires sont la gestapo du gouvernement Uribe. Presque tout le monde le sait, mais le peuple colombien continue d'approuver très largement l'action de Uribe leur protecteur qui est en train de débarrasser le pays de la guerilla. Uribe dépasse les 80% de taux de satisfaction, c'est le président le plus apprécié d'Amérique latine.

L'armée régulière n'est pas en reste dans la lutte contre la guerilla : il y a deux ans des primes étaient offertes aux militaires pour chaque guerillero tué. Résultat un immense scandale éclate enfin (!!) en Colombie peu après : des dizaines de civils pauvres et innocents furent tués et déguisés en guerilleros par l'armée pour gonfler les statistiques !




Après une dizaine d'années de retrait, malgré le manque d'informations car aucun journaliste ou presque ne se rend sur les territoires occupés par la guerilla, on peut affirmer que les FARC n'ont jamais été aussi faibles qu'aujourd'hui. Elles seraient encore présentes sur une trentaine de fronts dans les zones les plus reculées du pays, et ne peuvent plus jamais espérer l'avènement d'un Grand Soir.
Mais malgré ce manque de perspectives, la plupart des guerilleros sont des combattants qui ne savent rien faire d'autre que combattre et ils sont donc peu nombreux ceux qui parviennent à quitter la guerilla pour retourner à une vie civile "normale" : les déserteurs sont menacés de mort par les FARC, et malgré le discours officiel d'amnistie du gouvernement, certains ex-guerilleros terminent assassinés par les paramilitaires ou derrière les barreaux.

La situation est bien différente pour les paramilitaires qui veulent rendre les armes : ils sont totalement amnistiés et disposent même d'une somme d'argent mise à disposition par le gouvernement pour se réinsérer dans la société civile !

La guerilla est donc moribonde en Colombie mais garde un pouvoir de nuisance certain grâce à sa capacité toujours bien réelle d'enlever des hommes politiques ou de hauts gradés militaires, et pourra le garder longtemps encore car un tiers du pays est couvert de jungles à peu près vierges où les guerilleros pourraient s'abriter des dizaines d'années.

Mais le gouvernement colombien a-t-il vraiment intérêt à ce que la guerilla disparaisse totalement ? Pas sûr, certains faits montreraient même le contraire : le gouvernement colombien instrumentaliserait les FARC comme les Etats-Unis de Bush utilisaient la menace terroriste islamiste pour diminuer certaines libertés fondamentales, augmenter le budget de l'armée et doper les sondages en faveur d'un président qui se trouvait enfin une contenance dans le rôle du défendeur d'une nation menacée.

En 2008, Uribe réussissait là où Sarkozy avait échoué : il libérait Ingrid Betancourt sans verser de rançon ni une goutte de sang. Comment s'y est-il pris ? Mystère. L'ex-mari de Betancourt est persuadé qu'il aurait acheté l'un des généraux des FARC... Une seule chose est sûre, le lendemain de la libération de Betancourt, tous les journaux colombiens saluaient le formidable succès de Uribe, son habileté à se jouer des FARC qui rendront très bientôt les armes c'est sûr.
De même il y a deux semaines, quatre otages des FARC, des militaires haut-gradés, sont miraculeusement arrachés des griffes de la guerilla quelques jours avant le deuxième tour des élections présidentielles sans effusion de sang ! Un immense succès pour Uribe et Santos, clame encore une fois à l'unisson la presse colombienne, et conforte ainsi l'avance que Santos avait sur Mockus.

Dans un pays où plus d'un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, où les écoles publiques n'accueillent que les enfants de parents pauvres qui ne peuvent payer l'école privée tellement le niveau d'éducation y est faible, Uribe n'aurait pas eu un bilan politique vraiment positif s'il n'y avait pas eu ses multiples victoires contre les FARC. Il y a dix ans en Colombie, personne ou presque ne voyageait pour faire du tourisme. Aujourd'hui les grandes routes sont sécurisées, l'armée est très présente et la population apprécie beaucoup.




Un autre domaine complètement oublié par les médias où le bilan d'Uribe est clairement négatif est celui du trafic de cocaine. La Colombie est toujours le premier producteur mondial de poudre blanche, avec 3/4 de la production mondiale avancent certaines études !! A l'ombre des très dangereuses FARC, les traficants sont tranquilles. Ils utilisent des corridors désertés par l'armée entre l'Amazonie (région de production) et le Pacifique, et envoient des milliers de tonnes de cocaine par an par bateau vers l'Amérique Centrale et le Mexique.
Il est difficile de savoir si la production a diminué ces dernières années. Les saisies en constante augmentation et les prix en chute depuis dix ans en Europe indiqueraient plutôt le contraire.

Un dernier argument pour fragiliser encore un peu la légitimité démocratique de Santos. Quand j'étais en Colombie, une semaine avant le premier tour des élections, les sondages donnaient Mockus vainqueur sur Santos ! Une semaine plus tard, Santos remportait 47% des suffrages contre 27% pour Mockus. Pour le moins étrange, non ? Y aurait-il en Colombie un vaste plan clandestin dans les campagnes d'achat de votes pour quelques pesos organisé par le parti de Uribe et Santos ? C'est une pratique encore courante au Brésil, je n'ai aucune preuve qu'elle existe en Colombie mais un fort doute persiste.




La conclusion évidente est que sans une éducation solide pour tous et des médias bien renseignés et indépendants, la démocratie n'est que virtuelle.
Le taux d'abstention lors du deuxième tour des présidentielles a atteint les 50%, ce jour-là il y avait trois matchs de coupe du monde de football !


2 commentaires:

Anonyme a dit…

La Colombie est le 2 eme producteur de coca. le Perou est passé devant cette année avec 139 000tonnes contre 103 000 t.

46% du trafic est peruvien et le Mexique et Equateur sont les 2 plaques tournantes du trafic
en 10 ans la Colombie a baissé de 60 % sa surface de champs de coca alors qu'au Perou elle a augementé de 55%

il est evident que Santos a acheté des voix.
concernant les sondages cest aussi la faute des medias qui se sont emballés pour Mockus
Ya pas de media serieux en Colombie

La Colombie reste excpetionnelle a tout point de vues.

Moi je repart en aout :p

Alexis a dit…

La Colombie n'est pas le premier producteur de coca, mais est de très loin le premier producteur mondial de cocaine. D'après ce document (http://www.robert-schuman.eu/question_europe.php?num=qe-68), la Colombie produisait en 2006 640 tonnes des 900 à 1000 tonnes produites annuellement dans le monde.
Ceci dit il est toujours difficile d'obtenir des chiffres fiables sur le trafic de drogue.

Les chiffres qui indiquent la baisse des surfaces de culture de coca sont les chiffres des américains qui veulent montrer les bons résultats du Plan Colombie ! En réalité, quand certains champs sont aspergés d'herbicides, les producteurs investissent d'autres zones plus isolées, ou les parcs nationaux protégés !