lundi 14 septembre 2009

Tout va très bien Madame la Marquise !

Tout commence il y a un mois environ quand je vais voir Zéca, mon pote orthopédiste. Il m'annonce que le cale osseux que j'ai au gros orteil et qui s'est enflammé parce que je me suis bêtement pris le pied dans une racine est une malformation de naissance qui s'est agravée à cause de l'usage répété pendant 20 ans de chaussons d'escalade trop serrés. Verdict : pas le droit de grimper pendant un mois pour calmer l'inflammation, et si le cale osseux reste douloureux au moment de mettre les chaussons, il faudra opérer... Argh. La grimpe est pour moi le chemin le plus direct vers un certain bien-être, simple, mais profond aussi. Bien sûr, un mois sans grimper, ça n'a rien de franchement triste ou d'insurmontable. C'était juste le début des emmerdes.

Les emmerdes c'est d'abord Alexandre, mon deuxième associé, qui début août nous engueule Yan et moi comme du poisson pourri parce que nous sommes de nouveau partis tous les deux ensemble en France en juillet au détriment de l'entreprise, parce que Rokaz est inexplicablement bien vide en ce mois d'août qui n'est pourtant pas un mois de vacances au Brésil, parce que les résultats financiers de l'entreprise ne le satisfont pas... Il nous met une pression pas possible. Alexandre il est comme ça, je le connais bien maintenant, sanguin, irrationnel, il croit dur comme fer que les pierres précieuses qu'il vend sont vivantes puisqu'elles évoluent au cours du temps, et les serpents sont ses amis depuis que cinq d'entre eux lui ont sauvé la vie il y a vingt ans en Amazonie alors qu'il était perdu dans la forêt et qu'ils lui ont montré le chemin... Pas mal barjot mais tellement charismatique et bon en affaires. Des fois il arrive au bureau tout sourire et tranquille, la Terre s'arrêterait de tourner qu'il resterait hilare, car il a vendu le mois précédent plus de R$50.000 de bijoux...

Vers la même époque je refais méthodiquement les comptes des deux mois précédents et quand je vois que la compta de base qui a été faite en mon absence est criblée d'erreurs, je me dis qu'Alexandre n'avait pas complètement tort. Mais ce ne sont pas quelques erreurs de calcul qui font qu'une entreprise fonctionne ou pas... Plus préoccupant, je constate que plusieurs milliers de Reais de vente par cartes de crédit n'apparaissent pas dans le compte en banque de Rokaz. Plusieurs jours de stress plus tard je découvre que l'argent est finalement arrivé avec plusieurs jours voire plusieurs semaines de retard dans les caisses car les réceptionnistes n'avaient pas "finalisé" correctement les machines à cartes Visa et Mastercard tous les soirs en mon absence...

Probablement en partie à cause de la fatigue et du stress de mes journées de 15h de boulot, je tombe malade vers la mi-août. Fièvre, gorge et muscles douloureux... Je vais consulter, le médecin me dit que c'est une grippe, et qu'il y a 80% de chance que ce soit la grippe A. Ce n'aurait pas été bien grave si elle n'était pas arrivée au pire moment, juste la semaine où j'avais prévu d'aller à Rio pour aller voir des amis français là-bas et me changer un peu les idées. Il n'y aura donc pas de voyage à Rio.
Le plus préoccupant c'est quand le médecin me dit que cette grippe, décidément, est différente de la grippe saisonnière. Il a vu trois jeunes gens d'une vingtaine d'années en mourir en un mois ! Info ou intox, il est difficile de se faire une opinion sur la question. Certains journaux d'ici parlent de centaines de morts de la grippe A dans le Minas Gerais, notamment des personnes ni très jeunes ni très vieilles et en bonne santé, alors que les médias français continuent de dire que la mortalité due à la grippe A est la même que celle de la grippe saisonnière classique...
Enfin j'ai passé cinq jours au lit fort agréables je vous laisse imaginer.

Jusqu'à la semaine dernière, en l'absence de mon colloc brésilien Paulo Henrique (Ph) en voyage en Europe, j'habitais avec James, un Néo-Zélandais super "easy going", que j'ai invité à habiter avec moi un peu trop vite peut-être, et sa copine mexicaine Cintia qu'il a rencontrée l'année dernière en Corée du Sud et qu'il a convaincue de venir au Brésil pour qu'ils habitent ensemble. Dès le début je n'ai pas bien compris pourquoi il lui avait demandé de le rejoindre au Brésil. Et je n'ai toujours pas compris. Car en caricaturant à peine, James est au Brésil uniquement pour se taper des nanas. La veille de l'arrivée de Cintia au Brésil, il est allé fêter son "enterrement de vie de garçon" dans un bordel !!
Les premiers jours de Cintia au Brésil, tout se passe bien, ils ne se sont pas vus depuis longtemps, il se contente d'une seule femme. Mais il dérape dès la première fois que nous sortons danser ensemble, une semaine après l'arrivée de Cintia. Dans la boîte, il reste dix minutes avec Cintia, puis il ne résiste pas à la tentation, va tchatcher avec d'autres filles de la boîte et laisse Cintia en plan toute seule. Pendant que je parle avec Paco, mon pote français qui est le DJ local, et d'autres amis brésiliens qui sont venus avec nous, je ne vois rien mais le drame se noue... Cintia qui est jalouse se laisse séduire par un autre mec qui l'embrasse, et James, entre deux tentatives de séduction un poil simplistes (après trois mois au Brésil, il parle à peu près aussi bien le portugais que Le Pen parle l'arabe), les découvre enlacés tous les deux et pique une crise mémorable au milieu de la piste de danse. Il menace le mec de mort et gueule "fuck you" cinq fois si fort que tout le monde s'arrête de danser. Le mec en question ne comprend rien à ce qui passe évidemment.
Bref le genre d'histoire que même le producteur du pire feuilleton de série Z de la Terre refuserait comme scénario...
Finalement ce soir-là ils rentrent tous les deux de leur côté, James dort tout habillé et sans matelas sur le carrelage de la cuisine, mais le lendemain, en apparence, ils se sont déjà réconciliés. Quelques jours plus tard, alors que je suis alité à cause de la grippe, je les entends s'engueuler à nouveau dans leur piaule à côté de la mienne à propos de je ne sais quoi.
Le glauque vire au sordide quand après quelques jours d'engueulades la porte fermée, ils commencent à s'engueuler devant moi sans se cacher de manière aucune. Une fois guéri je passais déjà peu de temps dans notre appart, alors là je commence à le fuir comme la peste. Je pars tôt rentre tard, et parfois pourtant je les rencontre quand même, tous les deux en colère, ou l'un des deux, qui tente de m'expliquer comment l'autre lui rend la vie complètement impossible.
Heureusement le sordide a viré au comique la semaine dernière lorsque Cintia est repartie vers le Mexique. Ph qui venait de rentrer du Portugal, les a emmenés à l'aéroport, et m'a raconté la scène. Déchirante. Ils pleurent tous les deux pendant une heure, oui ils ont du mal à vivre ensemble, mais ils tiennent tellement l'un à l'autre...
Le soir même, peut-être deux heures plus tard, je rentre à l'appart en pensant enfin avoir le calme. Et là je trouve qui : James, grand sourire, papillonnant avec une autre nana...

La cerise sur le gâteau qui est venu clôturer j'espère ces quelques événements légèrement malencontreux, c'était ce petit bonhomme en costume qui vient visiter Rokaz mercredi dernier. A l'entrée de la salle, il demande le propriétaire de l'établissement en montrant sa carte du ministère du travail... Si seulement il avait pu venir dans la matinée ou dans la soirée, à un horaire où tous ceux qui travaillent à Rokaz ont un contrat. Mais non, il faut qu'il vienne le mercredi après-midi, justement quand un stagiaire travaille et que je n'ai pas encore signé sa convention de stage parce que j'avais toujours 10.000 autres choses à faire, et qu'un ami grimpeur qui nous aide à monter des voies est là avec le tee-shirt de Rokaz en train d'assurer un client... Il prend les noms, et me laisse une liste de 21 pièces administratives à fournir au ministère du travail pour pouvoir étudier en détail toute l'histoire de Rokaz et de ses employés depuis sa création en février 2008. J'ai passé ces derniers jours à rassembler tous les documents, l'inspecteur du travail nous a donné un délai de 6 jours. Soit dit en passant, même si je ne veux pas tomber dans la caricature de l'entrepreneur qui critique systématiquement le pouvoir public, l'administration brésilienne avait mis 6 mois pour nous délivrer le permis de construire... Je rends le dossier demain. Inch allah, pourvu que l'amende ne soit pas exorbitante !
Le plus triste dans l'histoire c'est que le discours de l'inspecteur laissait entendre qu'il serait peut-être venu à Rokaz suite à une dénonciation par un inconnu... Et le plus rageant est que les trois autres salles d'escalade à Belo Horizonte, beaucoup plus petites certes mais qui sont tout de même nos "concurrentes", ne sont même pas des entreprises au sens légal du terme. Ce sont juste des mecs qui encaissent l'argent des clients uniquement en liquide, qui paient leurs employés entièrement au black et qui empochent les bénéfs sans payer d'impôt...

Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais à partir de maintenant c'est sûr, ça ne peut qu'aller encore mieux.