mardi 1 février 2011

Escalade de l'Aiguille Poincenot en Patagonie

Chalten, petite bourgade de la Patagonie Argentine créée de toute pièce en 1985 pour contrôler la frontière voisine disputée avec le Chili, jouit d'un climat pourri à peu près toute l'année. Au plus fort de l'été, c'est-à-dire en ce moment, il fait 10-15 degrés la journée, le ciel est bleu et sans vent 5 jours par mois environ, le reste du temps il pleut, il vente, et c'est la tempête là-haut sur les montagnes. Et pourtant tous les étés, quelques dizaines de grimpeurs du monde entier font leur pélerinage annuel vers ce petit village du bout du monde, attirés par deux des plus belles montagnes du monde, le Fitz Roy et le Cerro Torre.
La plupart du temps, ils boivent des bières en parlant des escalades passées et futures, s'échangent leurs email et facebook pour quand l'un rendra visite à l'autre dans son pays sur son spot local de grimpe, et checkent plusieurs fois par jour les diagrammes abscons du NOAA, le site météo américain, comme les antiques consultaient l'oracle, à ceci prêt que l'oracle devait être beaucoup plus précis et juste dans ses pronostics que le NOAA.
Quand le NOAA annonce du beau à 5 jours, tout le monde commence à chuchoter la bonne nouvelle prudemment, car en général deux jours plus tard la fenêtre de beau temps aura disparu des diagrammes. Quand deux-trois jours avant, le NOAA annonce encore la fenêtre, c'est le début de l'effervescence : tout le monde demande à tout le monde où il va grimper, quelle voie devrait être en condition, quelle est la meilleure stratégie à suivre, etc...
L'avant-veille de la fenêtre c'est l'ébullition totale, tout le monde étale son matos partout, dans le camping, les tables des auberges de jeunesse, les grimpeurs se préparent, ils ont décidé où ils iront, ils ont dans le regard la détermination et l'excitation du lion qui voit pointer à l'horizon une antilope après des semaines de diète.
La veille du début de la fenêtre les randonneurs ne comprennent pas toujours : ils voient tout à coup des dizaines de grimpeurs partir en courant ou presque sur les sentiers dans la pluie et le vent avec des gros sacs à dos, ils ne comprennent pas car eux sont ici pour 3 jours et n'ont pas consulté la météo : le lendemain il fera beau, il faudra être là-haut en train de grimper !!

Je suis arrivé à Chalten le 14 janvier, la première fenêtre annoncée était bien belle, 3 jours de pression à 1020 hPa entre le 25 et le 27 janvier. On s'est donc dit un peu naïfs : bon, on va monter le 25, et puis on grimpera le 26 et le 27.

Le 25 au matin on se lève, pour la première fois depuis que je suis arrivé il n'y a pas de nuage dans le ciel, et plus important encore, il n'y a pas de vent. Je commence à sentir qu'on aurait dû partir la veille, et ne pas suivre l'avis de Will, le pote canadien qui squatte ici depuis presque 2 mois, de ne partir que le 25, mais bon c'etait trop tard.

A une quinzaine de km à vol d'oiseau derrière notre camping, le roi du lieu, le Fitz Roy, le matin du 25:



Trois heures de marche plus tard, on arrive au Lago de los Tres où s'arrêtent les randonneurs et où les grimpeurs mettent les crampons pour continuer jusqu'au Passo Superior, le camp de base du Fitz Roy.
Notre objectif est l'Aiguille Poincenot, la belle aiguille à gauche du Fitz Roy. C'est déjà un beau morceau, 600m de grimpe avec du 70º en glace, du mixte assez difficile et du rocher en 5/5+.
Nous avons choisi cette voie car nous savons que les voies en pur rocher seront verglacées et recouvertes de neige après les semaines de tempête que nous avons eues ici. Une voie en mixte/glace devrait être en meilleures conditions...




Au-dessus du Lago de los Tres, on se croirait dans les Calanques !



En montant vers le Passo Superior, le lago de los Tres en contrebas et Chalten au fond de la photo :



Au Passo Superior, je suis à droite, avec mes deux compagnons de grimpe, Will le Canadien et Mathias le Français à gauche :



L'imposante face Nord-Ouest du Fitz Roy: sur le pilier au centre il y a des voies de 1300m de haut en 7b et A3 (tranquillou...), sur la gauche en partant de la selle neigeuse il y a la voie normale du Fitz Roy, la voie Franco-Argentine, qui est la voie la plus facile du Fitz mais vaut bien une Walker en face Nord des Grandes Jorasses ! C'était la voie que j'aurais aimé grimper ici...



Au Passo Superior, cuisine 3* grâce à Ruben, notre pote photographe qui a monté oignons et basilic frais !! Soit dit en passant, trois jours plus tôt au lieu de boire de la bière toute la journée nous avons marché 8 heures sous la pluie pour faire UNE photo avec lui : deux hommes nus couchés sur le ventre au milieu d'un glacier Patagonien. Rarement eu aussi froid de ma vie !! Mais je crois que le résultat saura nous faire oublier nos engelures où je pense, allez voir ici si vous en doutez.



Aie, aie, aie, le 25 au soir le soleil se couvre sur le Passo Superior...



Au Passo Superior, les alpinistes ont creusé des grottes dans la neige pour y dormir, et éventuellement y attendre des semaines la fameuse fenêtre pour les plus courageux ou les plus tarés (les Russes et les Slovènes). Les entrées sont étroites, mais à l'intérieur c'est spacieux et grand confort !!



Réveil le lendemain à deux heures du matin: on est dans le brouillard et il neige. Dans les Alpes je me serai rendormi aussi sec en me disant: on grimpera demain...
Mais voilà on est en Patagonie, il n'y pas de vent et on peut déjà s'estimer heureux !
On se lève donc, on mange et une heure plus tard on part dans la poisse totale, heureusement deux grimpeurs chiliens ont fait la trace la veille et on trouve la rimaye sans trop de problème.

On est dans les pentes à 70º au dessus de la rimaye quand les lueurs du jour nous confirment nos impressions nocturnes : il fait vraiment un temps pourri.



Après 300m de neige et glace, nous arrivons au crux de la voie, deux longueurs en mixte qui sont annoncées en M3 dans le topo mais qui nous semblent beaucoup plus dures que ça : après avoir grimpé la rampe de neige en solo, Will voulait continuer seul au-dessus, mais après une tentative avortée, il se dit que la vie vaut plus qu'une zipette en crampons sur des dalles sans prises, et nous demande un brin de corde...

Mathias dans le mixte :



Nous passons deux heures dans ces deux longueurs en mixte, le grimpeur bataille dur, l'assureur congèle sur place au relais, il neige toujours, régulièrement des spindrifts (coulées de poudreuse) nous arrosent généreusement, il fait très froid et je repense au grand beau de la veille...

Heureusement quand nous débouchons dans la partie rocheuse final, les nuages se déchirent enfin un peu et dévoilent la belle Aiguille Saint Exupery voisine :



Il reste encore quelques centaines de mètres de rocher plus ou moins facile pour arriver au sommet. C'est facile, 5 maxi, la plupart du temps en 3 ou 4, mais 5 cm de neige recouvrent les rochers, toutes les fissures sont bouchées par la glace, on se croirait en plein hiver dans les Alpes, avec crampons et piolets l'escalade est un poil plus compliquée et lente...



Pendant quelques minutes en face nous avons vu la plus belle montagne du monde ?! : le Cerro Torre...



A 14h30 nous sommes à 100m sous le sommet, le vent commence à se lever, nous entendons le sommet au-dessus qui bourdonne comme un avion de chasse, nous savons que la descente sera longue, nous prenons la difficile décision de redescendre sans atteindre le sommet.

Et effectivement la descente fut très longue, nous faisons des rappels courts pour ne pas prendre le risque de coincer la corde, nous changeons une bonne partie des relais avec de la cordelette neuve et des coinceurs supplémentaires (un ami brésilien s'est tué début janvier sur le Fitz en arrachant l'ancrage de son rappel...), et après 20 ou 25 rappels nous avons perdu le compte nous sommes de retour à la rimayer à 22h00 !!

Mathias traverse vers la droite, avant de descendre pour passer la rimaye en contrebas, il est 21h30 :



Nous sommes de retour au Passo Superior vers minuit, Ruben héroïque a attendu anxieux toute la journée (nous lui avions dit que nous serions de retour dans l'après-midi...) et nous a préparé une bonne soupe chaude !
Et comme nous ne voulons pas rester coincés au Passo Superior plusieurs jours dans la tempête, nous décidons de redescendre le jour-même jusqu'à Rio Blanco, un petit refuge à mi-chemin entre le Passo et Chalten, sous la neige qui tombe à gros flocons.

Nous arrivons trempés et fourbus à Rio Blanco à 4h du matin, nous nous affalons par terre et nous nous endormons aussitôt après 26 heures d'effort quasi non-stop...

Le lendemain nous rentrons à Chalten, et le même jour, une heure après moi, Coralie arrive à vélo !!
Après quelques jours de belles randos ensemble au pied du Fitz et du Cerro Torre et une autre photo nue (!!) pour Coralie sur une grande dalle de rocher verte face à un glacier qui tombe dans un lac, je suis aujourd'hui à la recherche d'un vélo pour continuer mon trip sur les routes avec elle vers les Torres del Paine au Chili...

dimanche 23 janvier 2011

Les derniers mois en quelques images...

Entre septembre et fin novembre, le beau voyage à vélo avec coco, entre La Paz, Uyuni, San Pedro de Atacama et Salta...




A l'arrivée à Salta, on change momentanément de monture...



Retour à Belo Horizonte fin novembre pour organiser nos premiers championnats d'escalade du Brésil à Rokaz, un grand moment...





Noel a Buenos Aires avec la très sympathique famille de Coco au grand complet !



Puis début d'année dans la région de Bariloche, magnifique région de lacs et de belles aiguilles de granit au Nord de la Patagonie argentine.




Rando puis grimpe à Frey (dans les montagnes au-dessus de Bariloche), petit cirque paradisiaque où une cinquantaine de magnifiques aiguilles de granit surplombent un beau lac de montagne et un petit refuge en pierre où il fait bon camper quelques jours...







Et me voici depuis une semaine à Chalten, toujours en Patagonie argentine, au pied des fameux Fitz Roy et Cerro Torre, à faire du bloc et de la falaise, à rencontrer des grimpeurs du monde entier, tous comme nous en train d'attendre les bonnes conditions pour partir en montagne...

La bonne fenêtre arriverait enfin demain ! Les montagnes sont couvertes de neige, il faudra attendre un peu avant de pouvoir faire des voies rocheuses en altitude. Je pars donc avec mon nouveau pote français Mathias et Will le Canadien faire une voie en neige et en mixte (Voie Willians-Cochrane, 550m 5+ 70º M3) sur l'aiguille Poincenot, la magnifique flèche de roc que l'on voit sur toutes les photos de la région juste à gauche du Fitz Roy.

Coco arrive ici dans quelques jours, toujours à vélo!!