dimanche 21 février 2010

Le carnaval de Rio off

Me voici de retour à Belo, après un carnaval assez éprouvant... Non, je n'ai pas fait de folie avec la boisson ou des drogues ! J'ai plutôt l'impression de ressembler à la plupart des Brésiliens qui, passés les 30 ans, profitent des jours fériés du carnaval pour se mettre au vert. Faut dire que pour la plupart des Brésiliens entre 15 et 30 ans, le carnaval ce sont 5 jours sans dessouler, à danser dans la rue 15 heures par jour au milieu d'une foule dense qui pue la sueur, la bière et l'urine... Alors après 10 ou 15 ans à répéter le même scénario tous les ans, ils passent à autre chose.
Cette année j'ai passé deux belles nuits dans la rue à Rio, le reste du temps j'ai grimpé avec Breno, un copain grimpeur à Rokaz.

Le premier jour samedi on est allé à Barrinha, la falaise la plus connue de Rio. J'y ai vécu un grand moment de grimpe, dans un 7c de 35m de haut que j'avais déjà tenté auparavant. Après le crux, il restait encore 8 mètres en 7a, j'étais totalement daubé, mais la tête a tenu ferme, je hurlais à chaque mouvement pour ne pas tomber, et les cris d'encouragement de deux potes au-dessus de moi et de quatre autres en dessous m'ont littéralement porté jusqu'au sommet de la voie.

Dimanche avec Breno on s'est levé à l'aube pour faire une voie classique du Pain de Sucre, "Pássaros de fogo", une voie toute en adhérence comme la voie des Italiens, mais plus dure et moins protégée. Ce fut le premier 7ème degré brésilien (équivalent à notre 6c).

Dans la voie, Breno:





Le fameux rétablissement sur la plateforme du téléphérique au sommet du Pain de Sucre :



Rio, cidade maravilhosa...



Le Pain et une des belles plages désertes de Rio...




Lundi on a emmené Alexandra, Julien et Bianca faire la classique "K2" au Corcovado.



L'arrivée au sommet au milieu de la foule :






Ensuite nous sommes partis grimper à Salinas, la Mecque des grandes parois au Brésil, dans le parc national des 3 Pics, à deux heures de voiture de Rio.

Le refuge où nous avons dormi, avec le Pico Maior (2360m) au fond du jardin, et sa belle paroi de 700m qui attire des grimpeurs de toute l'Amérique latine.


Nous sommes montés au refuge à pied, pas en 4x4...

Cette région montagneuse ressemble plus aux Alpes qu'au reste du Brésil !




Le premier jour nous avons fait une belle voie pas trop dure de 4 longueurs jusqu'au sommet du Capacete (le casque, à droite sur la photo du refuge). Le topo disait : "Belle voie assez fréquentée depuis qu'elle a été rééquipée" Depuis 2005, il y a un spit tous les dix mètres, et avant il y en avait un tous les 25 mètres ! Pour grimper à Salinas, il ne faut pas avoir peur de grimper entre les points...




Au sommet du Capacete, je regarde l'objectif du lendemain, les 700 mètres de paroi du Pico Maior:






Sur le Pico Maior que j'ai déjà escaladé il y a 3 ans par la voie la plus classique, un ami bon grimpeur m'a conseillé la voie "Arco da Velha", une des voies mythiques du coin. Il ne m'a avoué qu'hier qu'il avait bivouaqué au sommet de la voie pour ne pas faire la délicate descente de rappel de nuit...
Pourtant le topo de la voie n'est pas si impressionnant. Il annonce un crux obligatoire en 6c/7a, mais la plupart des longueurs sont en 6a/6b. Mais je sais que les cotations dans l'état de Rio sont très serrées, surtout en dalles.
Et puis il y a cette rencontre avec un couple de cariocas au sommet du Capacete. Ils nous demandent quelle voie nous ferons le lendemain. Quand nous répondons "Arco da Velha", ils nous regardent d'un air différent. La femme très spontanée nous demande : "Mais vous n'avez pas peur ??"

Le lendemain je me réveille à 4h, une heure avant que le réveil sonne, excité... Le gardien du refuge nous accompagne dans la marche d'approche, il veut nous montrer un sentier plus direct que celui que j'ai repéré la veille. Mais nous sommes à la fin de la saison des pluies, une végétation luxuriante a complètement envahi le sentier qu'il voulait prendre, et après une heure de bataille dans des fougères géantes nous rebroussons chemin. C'est déjà l'aube...





Nous remontons ensuite le chemin que je connais déjà et arrivons au pied de l'escalade à 8h00 seulement...
Breno dans la végétation au pied de la paroi:


Je suis fébrile, je laisse tomber ma frontale dans l'enfer vert en dessous, je me trompe de direction dans la première longueur, puis je décide de me calmer. L'escalade peut commencer.

La voie est longue et dure, avec un spit tous les 15 mètres en moyenne. Parfois une petite fissure ou un trou permettent de poser un coinceur ou un friend entre 2 spits, parfois il faut grimper 15 mètres sans rien mettre, en évitant au maximum de regarder la corde qui file droit dans le vide entre les jambes. La paroi Est du Pico Maior est un océan de granit où les spits sont des petites îles perdues, le grimpeur s'y arrête pour se reposer les nerfs, puis part anxieux vers le prochain spit. Souvent il ne voit plus le dernier spit, ne voit pas encore le prochain, comme en haute mer, mais il doit avancer, toujours, car s'il s'arrête les mollets, les bras menacent d'exploser et la chute est un cauchemar qu'il ne veut même pas imaginer.






Le crux est situé dans l'avant dernière longueur, à 600 mètres du sol. C'est une dalle verticale en 7a, les prises sont des cristaux de la taille d'un ongle, et le spit est 4 mètres plus bas. J'ai bien passé 10 minutes à me demander si ça valait la peine d'y aller, à regarder une petite vire inclinée 7 mètres plus bas où je risquais d'atterrir en cas de chute. Finalement j'ai renoncé, je suis redecendu jusqu'au spit en dessous.

Au spit, je passe encore quelques minutes à réfléchir au problème tout simple pourtant. Pourquoi grimper ? Qu'est-ce que je recherche ? Quand faut-il renoncer ? Mais il n'y a pas de réponse rationnelle. Alors tout à coup je me débarrasse de mon sac à dos, de mes trois kilos de coinceurs, friends et dégaines, je laisse tout ce bardas suspendu au spit et je repars vers le haut. Arrivé au crux, je marque avec de la magnésie les cristaux où je vais poser les pieds et je m'engage dans le crux rapidement avant d'avoir le temps de douter à nouveau. J'oublie tout, les 600 mètres de paroi, le spit trop loin en dessous, je grimpe c'est tout, trois, quatre, cinq mouvements au bord de l'équilibre, et ça passe ! J'arrive au spit suivant en hurlant de joie !!
Avant de me reconcentrer rapidement car le reste de la longueur est encore très difficile et expo...

Nous arrivons au sommet vers 16h alors que le temps est en train de se gâter sérieusement.



Breno au sommet:






Au sommet l'air est chargé d'électricité statique, nous commençons rapidement la descente en rappel que je connais déjà. Au troisième rappel s'ouvrent les vannes du ciel. C'est la tempête tropicale : une pluie plus forte qu'une douche, le tonnerre et des éclairs toutes les minutes, du vent et du brouillard... En 5 minutes, à plus de 2000 m d'altitude, nous sommes complètement glacés.
J'essaie de trouver les rappels le plus rapidement possible en faisant abstraction de la pluie et des éclairs autour de moi. Mais au cinquième rappel, je me trompe. Je pars trop à gauche dès le début du rappel, puis je vois un relais 50 mètres plus bas où je descends rapidement. Arrivé au relais, le nuage dans lequel nous sommes se déchire un moment, quelques secondes suffisantes pour voir que je suis suspendu au-dessus d'une paroi de 400 mètres de haut alors qu'il ne reste en théorie que deux rappels pour arriver au sol. Je comprends que je suis parti trop à gauche, dans une autre voie qui ne débouche pas sur l'épaule où nous devrions arriver.

Le même rappel, il y a 3 ans, le ciel est bleu, l'ambiance tranquille...



La ligne de 7 rappels que nous avons descendue arrive sur l'épaule à droite, et je me suis retrouvé dans le haut de la paroi à gauche :


Je décide donc d'essayer de traverser vers la droite pour rejoindre la ligne de rappels. Suspendu presqu'au bout de mes deux cordes de 60 mètres, je grappille mètre par mètre en essayant d'atteindre une fissure à 20 mètres à droite que j'espère pouvoir remonter pour atteindre le relais de la ligne de rappels. Arrivé à un mètre de la fissure qui est devenue le lit d'un torrent, ma corde de rappel en diagonale me tire fortement vers la gauche, mon pied glisse subitement et je pars dans un gigantesque pendule...
Le granit est riche en petits cristaux qui ne vont pas épargner mes mains. Quand enfin j'arrête de penduler, j'ai une drôle de sensation quand je regarde ma main gauche. Sur le dos de la main, il y a une plaie béante. Je ne sens pas de douleur très forte, mais je vois l'os de mon doigt au fond de la plaie. J'essaie de fermer la main, elle se ferme normalement, ni l'os ni le tendon ont été touchés. La pluie torrentielle lave la plaie qui saigne abondamment. Je réfléchis une minute. Le seul moyen de me sortir de ce traquenard sera vers le haut. Je mets une pédale sur mon shunt et je commence à remonter la corde de rappel. Je suis très lent car ma main gauche est hors service et je dois tirer comme un fou les deux cordes mouillées avec ma main droite pour qu'elles passent dans le tube. Au bout d'une heure j'ai remonté quarante mètres, sans voir Breno qui est 15 mètres au dessus je réussis à disposer la corde plus à droite sur un angle de la paroi et je descends enfin dans la vraie ligne de rappel.
Quand après une heure et demie j'arrive enfin au relais et je gueule "LIBRE !", Breno transi de froid était déjà en train de sortir sa couverture de survie et de se préparer psychologiquement pour un bivouac suspendu...

Arrivés tous les deux au relais, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Les cordes de rappel se sont coincées en contrebas à gauche, Breno doit descendre 20 mètres en dessous du relais pour les décrocher et remonter comme moi avec le Shunt. Ensuite il nous faudra encore une demi-heure pour rappeler la corde qui ne descend que de quelques dizaines de centimètres en une minute alors que nous sommes tous les deux suspendues à elle.

Bref quand nous touchons la terre ferme à la tombée de la nuit, nous sommes quelque peu soulagés...
Le repas du soir de retour au refuge fut totalement divin.
Je ne suis allé à l'hôpital que le lendemain et il était trop tard pour faire des points de suture. Il faut les faire six heures maximum après l'accident, sinon il y a un risque d'infection.

Aujourd'hui je prends donc des antibiotiques car les plaies où apparaissent l'os ont plus de chance de s'infecter, et je suis privé de grimpe pour une dizaine de jours. Durant les semaines prochaines, je crois que je vais rester grimper sagement sur la résine de Rokaz et le calcaire des petites falaises du Minas où il y a des spits tous les 2-3 mètres...