Vous serez sûrement assez étonnés si je vous dis que je viens de signer aujourd’hui les contrats de mes employés. Moi-même je n’arrive pas encore à croire comment c’est possible. Ca fait un mois et demie que l’entreprise tourne ! Et que Yan et moi nous travaillons plus de 12 heures par jour. Vraiment je creuse encore je ne comprends pas comment le temps est passé aussi vite. Je peux trouver des excuses bidons bien sûr... Il y avait tellement d’autres priorités plus essentielles, et tellement de paperasses à réunir pour les faire ces contrats... J’ai donné des cours d’escalade à 150 débutants en un mois et demie, et Yan fait des fiches d’entraînement personnalisées à la chaîne...
De loin ça pourrait paraître simple de gérer une entreprise d’à peine 10 employés, et pourtant c’est tellement complexe vu de l’intérieur du tourbillon quand on veut faire les choses bien...
La vérité est qu’on est assez amateur dans l’organisation de notre temps, on passe notre temps à parer à ce qui est en apparence le plus pressé et certaines choses essentielles ont traîné beaucoup plus qu’elles n’auraient dû. Enfin l’important est qu’aucun inspecteur du travail n’est encore passé et que désormais nous serons complètement en règle. Et puis que malgré tout, notre entreprise, elle tourne.
Yan et moi nous avançons peut-être plus lentement dans la construction de notre entreprise que si nous étions des cadres rôdés à ce genre d’exercice, mais nous essayons de construire du solide. Les infrastructures sont là pour durer, et du côté des ressources humaines nous avons formé un moniteur supplémentaire et la mère de Yan comme réceptionniste. Désormais nos trois receptionnistes et nos trois moniteurs d’escalade sont à l’aise dans leurs fonctions.
Essentiel aussi, notre binôme, Yan et moi, fonctionne parfaitement bien. Nos rôles respectifs dans l’entreprise se sont mis en place naturellement, presque sans l’avoir défini au préalable. Dans d’autres conditions j’aurais pu être un homme de terrain, mais ici je suis l’homme du bureau. Yan s’occupe de la maintenance du mur d’escalade, d’encadrer les moniteurs d’escalade. Il fait les nouvelles voies d’escalade avec eux et pour tout ce qui est relations commerciales avec les écoles et entreprises, comme il est plus charismatique que moi il s’en occupe et est très bon. Moi je gère la partie administrative et financière en plus de donner les cours aux débutants et d’encadrer les réceptionnistes.
Et nous prenons ensemble toutes les décisions importantes lors de réunions quasi quotidiennes : prochaines actions marketing à mettre en oeuvre, dates et format des compétitions qui auront bientôt lieu dans la salle, priorisation des nombreuses interventions à réaliser pour le mur d’escalade, formatation des produits que nous allons mettre en vente (cours pour apprendre à grimper en tête, pour apprendre à grimper en paroi, à utiliser des coinceurs, organisation des futures « expéditions » vers les grandes parois de l’état de Rio)...
Alexandre nous a beaucoup aidé pendant le chantier, mais maintenant, quand il est à Belo Horizonte entre deux voyages pour vendre ses bijoux à Belem, Brasilia ou Rio, il passe à Rokaz et arrive toujours un peu comme un cheveu sur la soupe. Il ne maîtrise rien à l’informatique donc ne vérifie rien à mes comptes et ne comprend pas grand-chose non plus en matière d’escalade. Ce matin il est arrivé de voyage, il voulait absolumment nous rencontrer rapidement pour nous annoncer qu’il traversait une « crise existentielle : mais quel pourrait bien être mon rôle dans cette entreprise ? » Nous lui avons répondu qu’il était un bon vendeur, qu’il faudrait qu’il fasse marcher ses contacts pour faire connaître encore davantage notre salle d’escalade. Effectivement, son carnet d’adresses est une mine d’or pour une entreprise qui débute.
Cette après-midi, il était déjà beaucoup plus serein, il s’est assis tranquillement à une table, a dégusté longuement un açaí et une crêpe au saumon tout en paufinant nos relations commerciales avec les jeunes femmes qui fréquentent Rokaz et son bar...
A 22h00, Jacqueline notre réceptionniste qui ne savait pas qu’elle avait un nom français, annonce au micro que Rokaz va fermer ses portes. Je coupe la musique et les grimpeurs mettent une demi-heure à sortir. Nous faisons les comptes de la journée et vers minuit quand c’est Yan qui ouvre les portes de Rokaz le lendemain à 7h00, je commence à grimpoter avec les forces qui me restent. Souvent je finis allongé sur les matelas en me disant que je me sens bien chez moi.