vendredi 22 janvier 2010

Big Brother est aveugle

C’était début 2007, à un certain moment de la préhistoire de Rokaz, à une date que j’ai oubliée par manque d’écriture et d’agenda électronique en cette époque lointaine. Un gars se pointe devant notre porte, avec un pschit-pschit dans les mains, un uniforme orange, un petit carnet suspendu au cou et frappe à la porte de Rokaz. Le lieu est vide, il aimerait beaucoup se remplir de gens et de bruits, on le sent bien, mais nous attendons que la municipalité nous délivre le permis de construire depuis 5 mois et le chantier n’a donc pas encore commencé. Ce jour-là, il y aurait quand même dû avoir un gardien, un mec que l’on paie deux francs six sous pour passer 24 heures par jour sur place et empêcher que d’autres pauvres bougres viennent squatter les lieux comme c’était le cas avant qu’on commence à louer la parcelle.

Manque de bol, une semaine avant, on a surpris notre gardien en train de dealer avec un des mecs qui gardent et lavent les voitures dans la rue. Il a fallu le virer, et on n’a encore trouvé personne d’autre pour le remplacer.

Le mec orange trouve donc porte close. Il revient le lendemain à la même heure, puis le surlendemain, et il n’y a toujours personne. Moi je bosse encore à sauver le monde dans un bureau à quelques patés de maison de là, sur un projet d’approvisionnement en eau potable où on aura dépensé en tout 15 millions de Reais et qui finira entièrement à la poubelle. Yan donne des cours de grimpe pas loin non plus mais trop loin quand même.


Deux mois plus tard nous recevons une lettre de la municipalité de Belo Horizonte. En moyenne, le courrier qu’on reçoit à Rokaz, c’est un tiers de pub et deux tiers d’impôts et factures en tout genre. Ce jour-là, la correspondance est encore plus réjouissante que d’ordinaire : nous apprenons que nous empêchons la municipalité de Belo Horizonte de lutter activement contre la dengue. Il y a à cette époque-là à Belo quelques centaines de personnes contaminées pour 3 millions d’habitants, ce n’est pas encore la peste noire mais la municipalité s’active. Le mec en orange, il voulait entrer à Rokaz pour faire pschit-pschit avec un pesticide sur tous les objets, genre vases, bromélias, gouttières, etc qui auraient pu contenir de l’eau stagnante et donc offrir un lieu propice au développement des oeufs du stiquemou de la dengue. Il n’a pas pu rentrer, il aurait alors collé un autocollant nous prévenant de sa visite sur la porte de Rokaz que nous n’avons jamais vu. Il est revenu, nous n’étions toujours pas là, il a alors porté plainte contre nous. La lettre que nous recevons ce jour-là est une convocation au tribunal.

Nous nous rendons au tribunal sans avocat, car un pote juriste nous dit que ça ne servira à rien, qu’il suffira de dire que nous étions absents cette semaine-là pour que l’affaire soit classée. Le jour du tribunal nous exposons notre cas, nous expliquons que nous n’avions pas encore notre permis de construire et que pour cette raison nous n’étions pas tous les jours sur le lieu du futur chantier. Mais le procureur et le juge sont complètement hermétiques à nos arguments. Nous étions les responsables du lieu, il fallait être sur place lors du passage de l’agent de la dengue. Nous perdons le procès, nous faisons appel, nous sommes convoqués à une seconde instance que nous perdons encore. Au final l’ardoise est amère, près de 6.000 Reais (2.400 Euros). Un fonctionnaire nous dit qu’ils nous l’enverront un de ces jours par le courrier.


Nous ouvrons les portes de Rokaz l’année d’après, les mois passent, nous l’oublions presque cette amende, beaucoup d’eau coule sous les ponts, nous accueillons plusieurs fois en serrant les dents notre cher agent orange qui peut désormais faire pschit-pschit sur nos bromélias quand il veut puisque Rokaz est ouverte tous les jours, mais nous n’avons toujours pas de nouvelle de notre amende, 4.500 grimpeurs différents grimpent sur les murs de Rokaz, et la semaine dernière nous recevons finalement un courrier qui serait désespérant s’il ne semblait pas complètement erroné.

“Coucou c’est nous, la municipalité de Belo, vous nous devez 19.000 Reais vous avez oublié ?!”

Horreur, doit y avoir une erreur c’est pas possible !


La suite de l’histoire est ubuesque ou surréaliste j’en sais rien, j’en perds mon français. Yan puis moi allons à une antenne de la mairie, celle qui est indiquée sur la lettre, mais ils nous expliquent qu’il faut aller à un autre endroit pour contester le bien-fondé de l’amende, de cet autre endroit ils nous envoient à un troisième immeuble de bureaux où finalement ils nous disent que l’employé qui s’occupe des amendes rentre de vacances dans quelques jours. Mais tous nous préviennent que l’amende de 19.000 Reais est inscrite dans la base de données, et qu’il est très difficile de changer les données de la base de données. Par contre il est facile de payer, si on veut il suffit de passer tout de suite à la caisse. J’ai l’impression d’être face à un gigantesque monstre informe, pervers et arbitraire malgré ses milliers de sourires bien intentionnés.

Yan y retourne avant-hier. Après plusieurs heures d’attente, un employé qui a accès à certaines informations lui explique enfin la situation. En 2008, l’administration nous aurait envoyé une lettre nous informant de l’amende à payer immédiatement. Nous n’avons jamais reçu cette lettre. L’amende a été publié aussi dans le journal officiel de Belo, que nous aurions dû lire bien sûr mais que nous n’avons pas lu.

Les intérêts sont élevés au Brésil, surtout quand ce sont les banques ou l’administration qui en sont les bénéficiaires. Dans notre cas, pour moins de deux ans de retard de paiement, ils s’élèvent à plus de 50 % de la valeur initiale. C’est ainsi que l’amende a grimpé de 6.000 à 9.500 Reais en un an et demi. Difficile à ingurgiter, mais cette première pilule est facile à avaler par rapport à la deuxième que voici.

“- Tiens, l’amende curieusement a été rentrée deux fois dans le système, ce doit être une erreur.

- Et bien, retirez la deuxième amende !

- Ce n’est pas si simple, il va falloir que vous prouviez que vous n’avez pas commis deux fois la même infraction. Regardez, les deux amendes ont été enregistrées à trois jours d’intervalle. Je ne peux pas enlever cette amende comme ça, je n’en ai pas le pouvoir.

- Comment faire alors?

- Il va vous falloir embaucher un avocat, ce ne sera pas simple.”



Pour finir, en deux mots:

Restons zens.

Et puis bonne année quand même.